Maha Shivaratree ou la grande nuit de Shiva
Maha = »grand » ; Shiva = « de bonne augure/ le bon/ qui porte bonheur » ; Ratree ou ratri : « nuit ».
Qui est Shiva?
Le dieu Shiva occupe une place prépondérante dans l’hindouisme. Il forme la Trimūrti – triple manifestation de la divinité suprême qui préside aux différents états et ordres de l’univers – avec Saguna Brahma, le créateur, Vishnu, le conservateur et Shiva, le destructeur (s’agissant ici de la destruction du mal)[1].
» C’est comme quand on construit une maison… Brahma est la créateur, Vishnu lui, il protège la maison, il nous protège tous, car la maison c’est le monde, c’est l’univers. Mais, il y a de l’énergie négative dans l’univers qui nous approche, il y a aussi la positivité et ça, c’est Vishnu qui nous l’apporte, mais qui va empêcher la négativité? C’est Shiva. C’est pour cela qu’on l’appelle le destructeur et qu’il a un 3ème œil… En fait, nous l’avons tous mais nous, à notre stade, nous humains, nous ne sommes pas encore au niveau de méditation et sagesse pour pouvoir nous en servir… » Savi, Triolet, Février 2018.
Shiva participe donc à l’équilibre universel. La déesse Parvati (fille de la montagne) est son épouse ou Shakti[2] et ils ont pour enfants les dieux Ganesh, Muruga et Ayyapan. Ayant consacré la majorité de sa vie à la méditation, Shiva est souvent représenté en état méditatif, menant une vie de sage et d’ascète sur le mont Kailash – montagne faisant partie de la chaîne Gangdise ou Transhimalaya – où il vit avec son épouse et leurs enfants.
Dans la tradition Shivaïte, Shiva possède cinq fonctions principales : il est tour à tour le créateur, le préservateur, le transformateur, le dissimulateur et le révélateur (par la bénédiction). Il est communément représenté de manière anthropomorphique muni de différents attributs :
– son chignon, siège du Gange et de son pouvoir d’ascète.
– Le croissant de lune qui se trouve dans sa chevelure (association avec l’astre lunaire Chandra).
– Le troisième œil, ouvert grâce à une profonde méditation et qui permet de voir au-delà de la réalité matérielle.
– Le cobra enroulé autour de son cou tel un collier et qui symbolise l’énergie primordiale divine.
– La peau de tigre pour symboliser da maîtrise des forces naturelles.
– Le trident ou trishula, dont chacune de pointes concentre la création, la permanence et la destruction.
Shiva, Parvati et leurs enfants recevant les hommages des devas et rishi sur les pentes du mont Kailash. Miniature indienne du XVIIIème siècle. Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Mont_Kailash
Statue de Shiva, Ganga Talao (Grand Bassin), Île Maurice. C’est une réplique de celle du lac de Sursagar, située à Vadodara dans l’état du Gujarat, en Inde. Elle a été inaugurée en 2007 et mesure 33 m de hauteur. Source : Wikipedia.
Statue de Shiva sur le lac Sursagar, Vadodara. Source Pinterest. |
Représentation Shiva
Shiva est aussi vénéré sous la forme du lingam ou Shivling, symbole phallique de création, associé au yoni, symbole de l’organe sexuel féminin, la matrice du monde. Les deux symboles[3] sont représentés imbriqués l’un dans l’autre ou en « osmose », prouvant par leur union qu’ils dépassent l’antagonisme mâle-femelle ainsi que le spirituel-matériel car sont complémentaires, indissociables et absolus. La représentation du Shivling peut supplanter tout autre représentation anthropomorphique de Shiva. Lors de prières et/ou cérémonies en l’honneur du dieu, il est de coutume de oindre le Shivling de lait de buffle[4], de lait de coco et de ghee (beurre clarifié fréquemment utilisé lors des puja, à savoir les prières, et/ou dans la cuisine indienne), et l’entourer de fruits, fleurs et autres sucreries en guise d’offrandes.
Lingam et yoni. Ghâts – ensemble de marches qui recouvrent les rives d’un cours d’eau ou les berges – à Varanasi ou Bénarès. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Shiva
Pèlerins portant un kawar en forme de shivling. Source : https://www.myt.mu/sinformer/dossiers/societe/363318/maha-shivaratree-hommage-au-dieu-shiva.html
Déroulement de la célébration
Maha shivaratree est donc, de part l’importance de Shiva dans le panthéon hindouiste, un événement incontournable dans le calendrier festif hindou. À Maurice, la fête a lieu une fois par an, autour de février-mars, selon les années, dans le calendrier grégorien et se compose de différentes étapes que suivent les dévots :
– le carême qui consiste à ne pas manger de chair ni consommer d’alcool et à rester chaste les dix jours précédant la célébration.
– Les prières adressées au dieu Shiva, au temple ou dans l’enceinte familiale ou encore dans le cadre d’une association religieuse.
– la préparation, pendant le mois qui précède le pèlerinage, ou parfois plus tôt, du Kanwar, à savoir le char confectionné par les fidèles qui symbolisent ainsi leur dévotion à Shiva. C’est un véritable travail d’équipe porté par la solidarité du groupe et sa dévotion au dieu. On apporte donc une attention tout particulière à sa confection. Le char est fabriqué à partir de bambou, bois et/ou métal, orné de tissus de différentes couleurs, fleurs et autres végétaux, chacun choisissant de l’habiller selon ses goûts et ses envies. Enfin, chaque kanwa[5]r possède en son sein une ou des représentation(s) du dieu suprême sous forme de statues, images, dessins, miroirs, bijoux, etc. Il peut aussi être accompagné de représentations de Parvati, Ganesh et Muruga…
Savi et Oucha relate ainsi l’origine du kanwar :
» Auparavant, le kanwar était petit et une seule personne le portait. Une légende explique pour nous son origine. Une femme, qui avait de nombreux problèmes dans sa vie, a fait la promesse de trouver et voir Shiva pour lui demander d’ôter toute la négativité de sa vie. Pour cela, elle a décidé de confectionner un kanwar qu’elle va porter sur son épaule. Dans un panier, elle décide de mettre une image représentant Shiva et dans un autre, une de Parvati. Elle entreprend alors un voyage vers la ville sacrée de Kashi[6], lieu où se trouvent un shivling et où tous les obstacles peuvent être supprimés, détruits. Elle fait donc un très long voyage pour arriver là-bas. Une fois arrivée, elle se met à prier beaucoup Shiva pour qu’il l’aide à enlever toute la négativité dans sa vie. Et là, qu’est-ce qui se passe? Shiva n’arrive pas, elle ne le voit pas . Mais Shiva apparaît sous la forme d’un prêtre, c’est comme ça qu’il est venu devant elle. Et qu’est-ce qu’il a fait? Il lui a donné une feuille de bael. Elle se demande comment une feuille peut l’aider et, de colère, elle la jette et la feuille va sur le lingam, et quand la feuille tombe sur le lingam, en même temps, chez elle, tous les obstacles, les difficultés de sa vie disparaissent : la pauvreté, guérison de son mari malade, et encore beaucoup de chose. Et là, une fois arrivée, elle chante la gloire de Shiva! » Triolet, février 2018.
Statue représentant Shiva, Parvati et Nandi, posés au centre du Kanwar. Triolet, février 2018.
Bael pattra ou feuille de bael. La tige est toujours composée de trois feuilles distinctes. Photo de l’auteure, Triolet 2018.
La dévotion de cette femme a donc été récompensée, de même que les dévots de Shiva espèrent recevoir de multiples bénédictions du dieu lors de l’accomplissement du pèlerinage et des prières qui s’en suivent. En effet, bien que le dieu soit célébré tous les quatorzième jours de la lune (dans sa face sombre dans le calendrier lunaire), Maha Shivaratree reste la célébration la plus importante dans le culte rendu à Shiva car particulièrement propice aux bénédictions du fait de la position des planètes, cette nuit là, qui sont censées apporter un puissant flux d’énergie naturel et spirituel dans le corps et ainsi, dans l’esprit humain[7].
– Le départ des dévots, vers le lac sacré Ganga Talao ou Grand bassin à Maurice, qui a lieu plusieurs jours avant ou le jour même. Tout dépend du lieu de départ puisque les pèlerins partent des quatre coins de l’île, la marche et la pénibilité de celle-ci (douleur, chaleur, fatigue, etc) faisant partie intégrante du rite et de la dévotion au dieu.
Toutefois, le plus frappant pour le visiteur est certainement de voir la joie, la solidarité et le dynamisme qui anime les dévots mais également l’ensemble des volontaires (membres d’une association, entreprises ou particuliers) qui soutiennent les premiers en leur offrant, tout au long du chemin, de la nourriture (fruits, chana puri, ladoo, etc). Tout cela accompagné de chants, rires et musique. Enfin, signalons aussi le fait que différentes communautés de différentes confessions religieuses participent également au pèlerinage, à Maurice, emportés par la bonne humeur ambiante ainsi que leur propre curiosité, ceci dans la plus grande tolérance.
– Une fois arrivé, chacun va, au fil des heures, se reposer, se restaurer, se désaltérer mais aussi et surtout, rendre hommage à Shiva par le biais de multiples puja (prières), offrandes, méditation à l’écoute des prières et lectures de textes sacrés faites par les pandits[8] et, enfin, verser l’eau sacrée sur le lingam. Cette étape indispensable se poursuit également au sein du foyer, les pèlerins rapportant un peu de l’eau du lac sacré, chez eux, pour le verser à nouveau sur leur représentation personnelle du dieu Shiva lors de futures prières.
– Enfin, la journée qui suit Maha Shivaratree, chaque dévot devra se rendre au temple pour effectuer quatre sessions de prières qui ont déjà commencé pendant la nuit et seront faites uniquement à Grand Bassin pour certains :
– 1ère session : de 6 à 9h.
– 2ème session : 9 à 12h
– 3ème session : 12 à 15h
– 4ème session : 15h à 6h.
Ainsi s’achève la grande nuit de Shiva à Maurice, dans la joie et la sérénité, chacun gardant secrète la bénédiction que Shiva a bien voulu lui accorder…
[1] Cf Amaury de Riencourt, 1985 – L’âme de l’Inde, p. 15 et pp. 126-226. On retrouve cette division tripartique du divin dans d’autres cultures et religions comme le taoisme ou le christianisme.
[2] Ce terme désigne, dans l’hindouisme, l’énergie féminine, le principe actif et extériorisé d’une divinité masculine. Le shaktisme est aussi un courant tantrique de l’Inde dont on retrouve les premières références littéraires au VIIIème siècle. Cf le Dictionnaire Héritage du Sansrit de Gérard Huet.
[3] Rappelons d’ailleurs que Shiva est un dieu androgyne.
[4] Le lait est considéré comme un élément et un aliment pur pour les hindous. Cf la rubrique côté cusine.
[5] Cette confection du kanwar donnait lieu, à Maurice, jusqu’à très récemment, à une compétition, présidée par un comité, qui visait à élire le plus beau Kanwar. Toutefois, celle-ci a été abandonnée pour des raisons évidentes puisqu’elle éloignait les dévots du but premier du pèlerinage purement spirituel.
[6] Fait référence à l’ancien Royaume de Kashi devenu la Principauté de Bénarès en 1740 et lieu de résidence de Kashi Naresh, chef religieux du XVIIIème siècle, considéré comme une incarnation de Shiva.
[7] Pour de plus amples informations, je vous invite à lire l’ouvrage d’Alexandre Astier, 2013 – L’hindouisme ; Paris : Eyrolles, 220p.
[8] Prêtes hindous.