Nous fêtons, ce 2 novembre à Maurice, l’arrivée des Coolies ou travailleurs engagés. L’occasion de revenir sur certains points essentiels de ce tournant socio-culturel et économique de l’histoire mauricienne.
L’abolition de l’esclavage, de nouveaux enjeux pour l’industrie sucrière
Le 1er février 1835 est aboli définitivement l’esclavage à Maurice, mettant ainsi fin à tout un système discriminatoire et cruel d’asservissement d’êtres humains au profit du développement de l’économie du sucre en Europe. Se pose, dès lors, le problème de la main d’oeuvre pour les propriétaires terriens se retrouvant dépourvus de « bras » expérimentés pour cultiver la canne à sucre.
Les autorités britanniques, administrant alors Maurice, se tournent tout naturellement vers leus colonies, voyant dans celles-ci la solution à l’apport d’une nouvelle main d’oeuvre à faible coût. Se développe ainsi une expérience, qui se répandra sur d’autres continents faisant face aux mêmes préoccupations : l’engagisme.
L’engagisme ou la Grande Expérience
En réalité, Maurice fait face à la pénurie de travailleurs de la canne devant les besoins croissants de l’industrie sucrière, dès les années 1820, bien que l’abolition de l’esclavage ne soit réellement appliquée qu’une décennie plus tard. Profitant de la position stratégique de l’île dans l’Océan Indien, se trouvant au carrefour de l’Afrique et de l’Asie, Les Britanniques envisagèrent, dès la fin des années 1820, de recruter des ouvriers chinois, en provenance notamment de Penang et Singapour. Or, cette première expérience fut un échec, ces nouveaux travailleurs ne pouvant s’adapter aux conditions de travail locales. Craignant qu’un recrutement dans d’autres pays d’Afrique ne fut automatiquement associé à l’esclavage, les autorités se tournent tout naturellement vers l’Inde, où les gouvernements locaux se montraient favorables à l’engagement sous contrat de leurs ressortissants les plus pauvres. Débute alors ce qu’on nomma la Grande Expérience. Plus de 24 000 engagés indiens débarquèrent à Maurice entre 1834 et 1838. L’Aapravasi Ghat symbolise aujourd’hui cette grande vague migratoire indienne, qui se répandit néanmoins rapidement à d’autres pays.
Empreintes de pieds, immigré indien. Portraits de quelques travailleurs engagés indiens.
Aapravasi Ghat, photos de l’auteure.
L’ Aapravasi Ghat, patrimoine mondial de l’UNESCO : le symbole de tout un peuple
Situé à Port Louis, L’ Aapravasi Ghat – Aapravasi signifiant « immigrant » et Ghat le lieu où la terre et l’eau se rencontrent – fut construit en 1849 et accueillit des travailleurs engagés d’Inde, de Chine, du Sud-Est asiatique, d’Afrique de l’est et de Madagascar. D’abord nommé Port Louis Depot , il sera aussi connu comme Immigration Depot puis Coolie Ghat. Il ne prit son nom définitif qu’en 1980. À leur arrivée, les engagés étaient conduits au bureau des administrateurs qui notaient leurs noms, leurs origines ethniques, géographiques, religieuses, familiales, etc. Ils restaient alors en quarantaine afin qu’on vérifie qu’ils n’étaient atteints d’aucune pathologie particulière (rappelons que beaucoup mourraient pendant la traversée ou arrivaient atteints de la malaria ou du choléra, maladies liées notamment aux conditions d’hygiène déplorables reignant sur les bateaux) et en attente de leur « affectation » sur une propriété sucrière, pour laquelle ils se devaient de travailler pour une durée déterminée par leur contrat. C’est ainsi qu’à la fin de celui-ci, plusieurs d’entre eux décidèrent de rester définitivement à Maurice, ayant souvent pu obtenir un lopin de terre en échange de la poursuite de leur travail ou eurent la capacité matérielle d’en acheter une et d’y travailler pour leur propre compte. Notons que certains descendants des travailleurs engagés appelèrent longtemps l‘ Aapravasi Ghat, le Ghat of destiny , marquant ainsi l’espoir de tout un peuple en quête d’un avenir meilleur.
En 1924, le système d’immigration de travailleurs engagés fut aboli suite aux conditions de vie épouvantables de ceux-ci. Ces conditions soulevèrent l’indignation de nombreuses personnalités, en Angleterre et en Inde, interrompant déjà la poursuite de ce système une première fois, en1838, avant que l’immigration indienne ne reprenne en 1842 mais, cette fois, sous contrôle gouvernemental. Aujourd’hui, plus de 70% de la population mauricienne est composée des descendants de ces travailleurs engagés indiens.
Cuisine reconstituée et vaisselles de travailleurs engagés, visibles à l’Aapravasi Ghat. Précisons que ce type de vaisselle est toujours utilisée par de nombreux descendants de travailleurs indiens. Photos de l’auteure.
En 1987, l’Aapravasi Ghat a été inscrit au Patrimoine National. Il est également, depuis 2006, inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Lieu incontournable de l’histoire mauricienne, il est le garant de la mémoire de tout un peuple dont l’identité se construit et s’enrichit chaque jour…